« À contresens : voitures électriques, la grande intoxication » est un film documentaire réalisé par Jérôme Piguet. Marc Muller et Jonas Schneiter tentent de nous y éclairer sur la manière dont sont produits les véhicules électriques. À l’occasion de l’avant-première, Jonas Schneiter, co-producteur et journaliste, a accepté de répondre à nos questions.
Qui est à l’origine de ce film ?
Jonas Schneiter : « Nous sommes deux. Marc Muller est ingénieur dans le domaine du développement durable. Je suis animateur-journaliste pour la télévision et la radio Suisse RTS. Ensemble, nous avons créé plusieurs émissions sur la durabilité et les fausses croyances qui y sont liées, telles que “Aujourd’hui” et “Mission Possible” pour la télévision, ou “On va vers le beau”, à la radio ».
Parce qu’il faut bien vous poser la question : faites-vous partie d’un lobby de l’électrique, de près ou de loin ?
JS : « Nous n’avons aucun lien d’intérêt avec le lobby de l’électrique. Afin d’être en capacité de rester neutre, c’est d’autant plus important lorsqu’il s’agit de financer un tel film. Une partie du financement du film provient du SNF, un fonds national suisse pour la Science. Celui-ci lié à la recherche scientifique. Il encourage la rencontre entre la science et la société, notamment par le biais des médias. L’office fédéral de l’énergie a également participé au financement en marge de leur recherche d’informations fiables et scientifiques sur la mobilité. Enfin, une campagne de crowdfunding a permis de compléter à hauteur de 15 % environ le total du financement ».
De quoi parle votre film ?
JS : « Notre film s’intéresse à une croyance largement répandue que la mobilité électrique serait encore plus polluante que la mobilité thermique. Sur cette thématique, notre film est une recherche neutre et réellement aboutie. Pour ce faire, il nous a fallu réaliser une enquête sur deux années et parcourir plusieurs continents. Nous sommes même allés jusqu’à acheter deux voitures, une électrique et une thermique, afin de les démonter complètement à la recherche des matériaux qui la composent pour déterminer laquelle était la plus polluante ».
Pourquoi avoir choisi ces modèles de voitures et pas d’autres ?
JS : « La Renault Zoe a été choisie parce qu’elle était, à ce moment, le modèle de voiture électrique le plus vendu en Europe. La Fiat démontée était également un modèle grand public qui se vend très largement. Nous avions ainsi deux modèles représentatifs du marché automobile européen ».
Qu’avez-vous cherché sur ces voitures ?
JS : « En les démontant, nous avons notamment cherché les si fameuses terres rares dans les matériaux qui les composent. Je ne veux pas tout vous dévoiler ici, mais on ne les a pas trouvés là où on pouvait s’attendre à les trouver… »
Au sujet des mines de cobalt en République Démocratique du Congo, que cherchiez vous ?
JS : « Dans certains médias, on trouve nombre de photos d’enfants travaillant dans des mines et dans des conditions inhumaines. Alors, l’objectif principal de ce voyage était de répondre principalement à cette question : acheter un véhicule électrique favorise-t-il le travail des enfants ? Puis venait naturellement la question des émissions de CO2 lié à ces activités de minage ».
Avez-vous trouvé des réponses à vos questions ?
JS : « Nos recherches ont abouti à ce constat : c’est beaucoup plus compliqué que ce que la plupart des médias nous disaient et nous disent encore. Pour commencer, réduire la mobilité électrique au travail des enfants dans les mines est une fausse information. Il y a aussi quelque chose de très important à prendre en considération : vu de la République Démocratique du Congo, ces fausses informations répandues dans les médias occidentaux sur la production des véhicules électriques tiennent du cliché. Sur le terrain, la réalité ne ressemblait à aucune idée préconçue ».
Ce dernier point a-t-il eu des conséquences sur votre tournage ?
JS : « À cause de ces fausses informations, lorsque nous avons planifié le voyage, une partie des gens contactés sur place étaient inquiets de nous recevoir. C’était compréhensible : ils pensaient que nous allions arriver avec une histoire toute faite, évidemment et à charge contre eux, leur pays et leurs méthodes. Une fois sur place, ils ont compris que nos intentions étaient différentes. Tout s’est très bien passé ».
Comment se passe l’activité du minage du Cobalt là-bas ?
JS : « 80 % du Cobalt exporté par le Congo provient de mines industrielles. Il n’existe pas de travail des enfants dans ces industries lourdes où les camions gigantesques ou les énormes pelles ont la part belle. Reste 20 % de la production nationale. Celle-ci se partage en deux parties : 10 % des mines artisanales et légales, puis 10 % de mines artisanales illégales. Dans ces mines illégales, le travail des enfants existe en effet. Cela dit, tenter de réduire le Congo à cette production de Cobalt est un raccourci qui ne profite ni au Congo ni à une bonne compréhension des enjeux par le public en quête de vérité ».
Que fait le gouvernement congolais pour arrêter ce phénomène ?
JS : « Oui, le gouvernement agit. Mais, il n’est par exemple pas envisageable de stopper net les mines artisanales illégales parce qu’il s’agit bien souvent du seul revenu pour nombre de ces familles. À côté de cela, nous avons découvert beaucoup de solutions intéressantes dont nous n’avions jamais entendu parler. Notamment, les futurs centres de négoce. Ceux-ci concentreront les échanges de cobalt. Ils auront pour effet d’empêcher les échanges illégaux, et donc, l’activité de minage illégal du cobalt qui permet le travail des enfants ».
Il y a un effet pervers à diffuser de fausses informations sur de tels sujets…
JS : « Oui et c’était aussi l’une des découvertes de notre équipe sur le terrain. À force d’affirmer que le cobalt est creusé par les enfants, il en découle naturellement une mauvaise image du pays. Cela a pour conséquence directe de faire fuir les industriels et investisseurs du pays. Conséquence : cela augmente la part illégale des mines illégales de cobalt, donc le travail des enfants ».
Qu’en est-il de l’extraction du lithium en Bolivie ?
JS : « On trouve une foule d’articles parlant de l’extraction du lithium en Bolivie. Les réseaux sociaux s’enflamment régulièrement à ce sujet. Assez rapidement, nous avons découvert que la Bolivie n’exportait pas de lithium. Ils n’ont pas encore d’industrie capable de produire les quantités nécessaires. Ce fait est notamment lié à la situation politique et économique du pays. Aussi, il y a là bas beaucoup de contestation contre l’installation de telles usines. Ceci engendre beaucoup de bruit dans les médias, mais sur place, rien ne se passe vraiment ».
Alors où se trouve le lithium ?
JS : « Le Chili fait partie des plus gros exportateurs mondiaux. Nous nous sommes penchés sur le Chili à cause de problèmes de pollution ou de surutilisation de l’eau et de la saumure. Comme avec le cobalt, nous avons vu que l’histoire était encore une fois plus complexe. Le lithium est un sous-produit du potassium. L’usine que nous sommes allés visiter existait déjà avant d’extraire du lithium, et sa principale activité est l’extraction du potassium. A un tel point, que nous avons découvert que ces installations pourraient augmenter leur production de lithium sans même pomper davantage de saumure. Nous ne l’avions jamais lu ou entendu ailleurs ».
Les terres rares sont elles si rares que certains médias nous le disent ?
JS : « Terres rares est un nom qui piège. Tout le monde pense qu’elles sont “rares”. On les nomme ainsi parce qu’elles demandent beaucoup d’énergie pour être extraites. En réalité, dans les études d’impact, la question des terres rares est relativement anecdotique concernant la mobilité, thermique ou électrique : Il faut bien comprendre que toute la problématique de la transition écologique ne se trouve pas dans les terres rares contrairement à ce qu’on pourrait croire dans certains discours ou articles ».
Vos recherches pour ce film vous ont elles fait changer d’avis sur la mobilité électrique ?
JS : « En ce qui me concerne, oui. Marc était déjà convaincu, moi pas. Je voyais la mobilité électrique comme une idée d’avenir, mais pas pour tout de suite : je pensais qu’il y ait bien de trop de problèmes, notamment liés à la production ou au recyclage. Compte tenu de ce que nous avons découvert, je vois désormais la mobilité électrique comme une solution du présent. Tant pour la production des véhicules, que pour le recyclage. Bien sûr, il reste mille choses à améliorer, mais la réalité est très éloignée de ce que certains journaux racontent ».
Présentons le problème d’une manière inversée : est ce 100 % écolo de rouler électrique ?
JS : « Non, ce n’est pas écolo de rouler électrique. Mieux vaut marcher, faire du vélo ou prendre les transports en commun. Mais, comparé à un véhicule thermique, quelque soit la manière dont l’électricité est produite, l’électrique sera inévitablement moins polluant, beaucoup moins si chargée avec de l’électricité produite de manière renouvelable ».
Mon avis sur ce film : À contresens est un éclairage important sur la façon dont sont fabriqués les véhicules électriques. Bien rythmé, bien réalisé, amusant et intéressant, ce film mérite d’être vu par tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à la mobilité électrique. Pour la France et la Belgique, il est disponible en avant-première jusqu’au samedi 14 novembre depuis le site officiel.
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